Le Lyon-Turin est annoncé avec un retard de 20 ans en voie 0/20

Si l’actualité du dossier contentieux du chantier de l’autoroute A69 a fait le buzz, les médias sont en revanche demeurés discrets sur un autre dossier contentieux intéressant les infrastructures de transport, sur lequel le Conseil d’État s’est prononcé par un arrêt rendu le 24 juillet 2025.

Décidée voici une trentaine d’années et initialement plébiscitée, la liaison ferroviaire à grande vitesse reliant Lyon à Turin s’est progressivement muée en une fausse bonne idée, à l’image de ce que devint, par exemple, le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.

Ce qui est en cause ici n’est pas le tunnel ferroviaire transfrontalier, mais le tracé des voies françaises permettant d’y accéder.

Après avoir demandé en vain au premier ministre d’abroger le décret du 23 août 2013 déclarant d’utilité publique et urgents les travaux nécessaires à la réalisation de l’itinéraire d’accès au tunnel franco-italien de la liaison ferroviaire Lyon-Turin, plusieurs requérants, dont des partis politiques, syndicats, associations de défense de l’environnement et particuliers ont demandé au Conseil d’État d’annuler ce décret pour excès de pouvoir.

Dérive des coûts : des analyses socio-économiques dépassées

Les requérants ont notamment démontré au Conseil d’État que le coût du projet des voies d’accès au tunnel transfrontalier avait augmenté de manière très significative. La décision, prise par le ministre des Transports le 2 décembre 2024, de retenir le scénario « Grand gabarit » pour l’accès au tunnel transfrontalier contribue à cette importante dérive des coûts.

Ce scénario « Grand gabarit » coûterait pas moins de 8,2 milliards d’euros selon ses promoteurs et, plus probablement, une quinzaine de milliards d’euros selon des projections plus réalistes. Le seul coût des études qui ont lieu à partir de 2025 est estimé à 164 millions d’euros. Il faut dire qu’il s’agit de percer quelque 74 km de tunnels supplémentaires, notamment sous le massif de la Chartreuse et la chaîne de Belledonne. Dans un contexte budgétaire où l’État cherche à réaliser plus de 40 milliards d’économie et où la France s’endette à des taux parmi les plus élevés en Europe, les promoteurs de ce scénario « Grand gabarit » ont ainsi écarté, sans y porter toute l’attention qu’elle méritait, une option beaucoup plus économique consistant à moderniser la ligne historique reliant Dijon à Chambéry. Du fait de cette importante dérive des coûts, mais aussi des retards accumulés sur ce chantier pharaonique, les requérants ont pu sans difficulté démontrer l’obsolescence des analyses socio-économiques réalisées dans le cadre de l’enquête publique de 2012.

Le Conseil d’État a pourtant écarté ces moyens, en estimant qu’ils n’auraient pas été assortis des précisions suffisantes permettant d’en apprécier le bien-fondé.

Indépendance des procédures d’autorisation environnementale et de déclaration d’utilité publique

Les requérants soulevaient contre la déclaration d’utilité publique un moyen tiré de l’absence d’autorisation environnementale et de dérogation aux atteintes aux espèces protégées. Fidèle à sa jurisprudence la plus classique  – et la moins protectrice de l’environnement –  le Conseil d’État écarte ces moyens, pourtant fondés en droit comme en fait, en raison de l’indépendance de ces législations.

Cette jurisprudence s’avère excessivement défavorable à la nécessaire prise en considération des effets environnementaux de l’opération. Il en va de même de la multiplication des autorisations environnementales qui ne sont pas considérées comme des changements de circonstances de nature à remettre en cause l’utilité publique de l’opération.

L’immunité juridictionnelle dont bénéficient ces manquements protège les errements des promoteurs du projet de voies d’accès au tunnel transfrontalier.

Projet d’intérêt général et utilité publique du projet

Dans sa traversée des départements du Rhône, de l’Isère et de la Savoie, le projet de liaison ferroviaire Lyon-Turin avait été déclaré « d’intérêt général » par arrêté inter-préfectoral du 3 janvier 2012.

Aux terme de l’article L. 126-1 du code de l’environnement une telle déclaration est caduque « si les travaux n'ont pas reçu de commencement d'exécution dans un délai de cinq ans à compter de la publication de la déclaration de projet ».

En l’absence de tels travaux, c’est à bon droit que les requérants soulevaient un moyen tiré de la caducité de la déclaration de projet d’intérêt général.

Le Conseil d’État a, toutefois, écarté ce moyen au motif que cette caducité : « ne peut être regardée comme un changement des circonstances de fait de nature à faire perdre au projet son caractère d'utilité publique, ni une évolution du droit applicable en raison de laquelle l’opération en cause ne serait plus susceptible d'être légalement réalisée. »

Cette motivation semble bancale.

L’on peut, à l’extrême rigueur, admettre que la caducité de la déclaration de projet d’intérêt général ne produit pas d’effet direct sur le caractère d’utilité publique du projet, en considérant que l’utilité publique du projet ne dépend pas de la déclaration d’intérêt général du même projet. Ou quand la terminologie juridique compte un trop grand nombre de notions proches…

En revanche, l’on ne peut être convaincu par le motif selon lequel la caducité de la déclaration de projet d’intérêt général ne peut être regardée comme « une évolution du droit applicable en raison de laquelle l’opération en cause ne serait plus susceptible d'être légalement réalisée. », parce qu’un tel raisonnement conduit à priver de ses effets la caducité prévue par l’article L. 126-1 du code de l’environnement.

Par cet arrêt du 24 juillet 2025, le Conseil d’État confirme sa politique jurisprudentielle traditionnellement hostile à l’annulation des déclarations d’utilité publiques prononcées par décret : le bilan le la théorie du bilan s’avère une fois de plus décevant.

Il n’est pas interdit de regretter qu’avec cet arrêt, la montagne de la théorie du bilan accouche de nouveau d’une souris.
 

Pierre FRESSOZ,
Maître de Conférences en droit public,
Faculté de droit de l'université d'Avignon,
Laboratoire .JPEG (EA3788)

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